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Quelques mots sur le Bardo Thödol

Le Bardo Thödol est un bréviaire particulier au bouddhisme tibétain qui contient le texte à réciter et les rituels à pratiquer pour libérer le mort de son corps physique et le conduire dans sa traversée de l’univers du Bardo (mondes et états de consciences intermédiaires entre deux vies terrestres). Le mort qui est attentif aux recommandations du lama officiant est libéré par l’écoute. Le processus d’accompagnement du mort par le lama dure quarante-neuf jours. La traversée du Bardo entre deux incarnations se déroule en sept grandes étapes divisées chacune en sept degrés à franchir. La durée est à regarder comme symbolique ou ne concernant qu’une quantité limitée d’humains. En général, cette traversée s’étire sur des années. L’accompagnement par le lama officiant pour guider le mort ne dure que les quarante-neuf jours prescrits, un par degré. Même si le mort a décroché et ne suit pas le processus, il semble opérer pour lui y compris sans sa participation consciente. Une part du mort mémorise les éléments apportés par le lama et vient chercher les informations dans cette réserve au fur et à mesure de ses besoins.

C’est un peu comme si le moine plaçait une somme, un potentiel énergétique pour le défunt qui y puise au moment opportun pour lui. On trouve là une forme de la déconnexion au temps dans lequel se déplace le mort par rapport à celui des vivants. Une fois le corps éthérique séparé du corps physique, le lama ne se préoccupe pas de savoir où en est le mort qu’il guide. Il déroule le rituel, comme s’il était possible que le mort sache capter au bon moment ce qui a été développé pour lui. L’objectif est donner les clés au mort pour qu’il se libère du cycle des incarnations. Le lama apporte toutes les indications nécessaires mais le mort ne capte pas tout en fonction de son karma et de diverses causes le liant au monde du samsara (monde des phénomènes où nous vivons) et qui le poussent à s’incarner à nouveau.

Cette pratique, comme la majorité des pratiques du bouddhisme tibétain tire son origine dans l’intégration de rites de la religion qui lui a précédé, le Bön. Il s’agit de nombreux rituels magiques invoquant et mobilisant les forces de la nature et de nombreuses divinités. Il existait donc un livre des morts Bönpo : « La lampe qui illumine la libération par l’écoute ». Comme pour le livre des morts égyptiens, le rituel apporte la lumière au mort et le libère.

Ce sont les moines nyingmapa, reconnaissables à leurs bonnets rouges, les plus proches des Bönpos qui ont propagé le livre des morts tibétains et la pratique de l’accompagnement des morts pour leur voyage dans le monde de l’au-delà. Le Bardo Thödol décrit les transformations de la conscience du défunt et l’évolution de ses perceptions de ce qui l’entoure lors de son voyage dans le monde d’entre deux vies incarnées en vue d’accéder à la moins mauvaise incarnation possible si la libération du cycle des incarnations n’est pas obtenue.

Ces transformations conduisent dans trois domaines du Bardo successifs : le Chikhai Bardo, le  Chonyid Bardo puis le Sidpa Bardo qui sont autant d’états de conscience à traverser. Le niveau spirituel du défunt et la qualité de son accompagnement conditionnent la durée de chacune de ces étapes. Le premier domaine à traverser est celui qui suit immédiatement le trépas : le Chikhai Bardo. C’est le fameux tunnel lumineux souvent cité dans les expériences de mort clinique momentanée avec retour à la vie. L’individu est placé face à la lumière brillante de son propre esprit, la lumière primordiale. Si le mort est avancé et a travaillé spirituellement, s’il est allé à la rencontre son esprit, il le reconnaît et peut se trouver libéré de ce stade, voire même des suivants. Le plus souvent, défunt s’oppose à la lumière, le choc est si violent qu’il tombe dans le coma pour plusieurs jours. Il perd conscience pendant les trois à sept jours que va prendre la fin du processus de séparation avec le corps physique et celui de séparation du corps éthérique.

Au travers de la pratique du Bardo Thödol, le lama officiant dispose d’un guide pratique avec une description précise des prières à réciter et des rituels à pratiquer. L’accompagnement du processus de deuil pour les vivants sera matérialisé par l’utilisation d’un « jangbu », effigie en papier qui représente le mort et qui sera brûlée à la fin du rituel. Le processus est double, libérer l’individu de ses fautes et montrer aux vivants que le départ du principe de vie est effectif. Le défunt n’a plus de réceptacle matériel, il migre dans les mondes du Bardo.

Une fois la conscience à nouveau éveillée, le mort qui n’a pas réussi à suivre la lumière lors du Chikhai Bardo passe à l’étape du Chonyid Bardo. Elle est appelé étape de l’expérience de la réalité. La lumière intense revient se présenter pendant cinq jours, en même temps, une autre lumière de faible intensité se présente aussi. En fonction de son karma et de la nature de sa spiritualité, le mort sera attiré par l’une des deux sources de lumière. Le plus souvent, le défunt est encore effrayé par la puissance de la lumière éclatante et va se réfugier vers celle qui est faible. La lecture du Bardo Thödol par le lama a pour objectif de rassurer le mort afin qu’il ne fuie ce qui l’effraie, mais qu’il prenne au contraire conscience que cette puissante lumière émane de son propre esprit qui vient à sa rencontre. Le lama explique au mort que tout ce qu’il voit vient de lui, qu’il est le seul qui dirige réellement les évènements et que ses peurs le conduisent vers des endroits de son être qu’il vaut mieux ne pas fréquenter. Il le pousse à se rappeler les enseignements qu’il a reçus de son vivant, l’incitant à se laisser approcher par sa propre lumière, à fusionner avec son esprit. Si le défunt n’y parvient pas, le lama va le guider en lui proposant de contempler des mandalas représentant des dieux dans leur forme paisible. Si au bout de sept jours de ce régime, le défunt bloque toujours, le lama officiant lui présente un mandala constitué par des dieux sous leur forme courroucée pendant sept nouveaux jours. Pendant toute cette période, le lama exhorte le défunt pour qu’il prenne ces divinités pour mères. C’est la dernière chance pour lui d’éviter la suite du Bardo et le retour vers la renaissance ou au moins d’œuvrer pour se préparer une nouvelle incarnation meilleure.

Les temps décrits sont théoriques et un défunt peut errer des mois ou des années dans les différentes étapes du Chonyid Bardo. L’évolution du défunt est liée à sa capacité à accepter la séparation et la dissolution de ses anciens corps. Plus il s’identifie à eux, plus il résiste pour les lâcher, plus son séjour est long et douloureux. Le défunt s’inflige de nombreuses punitions et souffrances en mémoire de ses mauvaises actions et peut ruminer pendant des années avant de s’être soulagé et de passer au stade suivant, celui du retour vers la nouvelle incarnation.

Une fois tous les enseignements tirés de la vie précédente, commence le retour vers une nouvelle incarnation. L’être va reconstituer un nouveau corps mental. Le corps causal demeure pendant tout le cycle d'incarnations. Il contient les informations à imprimer pour donner les éléments de base du futur caractère, des dons et des tares à porter dans la nouvelle incarnation. Les dons seront à exploiter et à magnifier, les tares à accepter et à dépasser pour l’éducation de l’être. A partir de là les possibilités d’incarnation se profilent, lieu, famille, grands moments de l’histoire de ce lieu et de cette famille mais aussi de l’histoire de vie à venir. La liste des mérites acquis dans les vies précédentes ainsi que des dettes est présentée au préalable à ce retour dans la matière. Le Sidpa Bardo constitue l’étape de la renaissance, il encadre le retour à la matière incarnée. L’individu à venir attend que les conditions de sa nouvelle incarnation soient remplies, le plus souvent dans une nouvelle vie humaine. Les conditions ne sont pas toujours réunies et si plusieurs postulants sont en lice pour une future naissance, c’est celui qui a le plus de mérites qui passe avant. La nouvelle attente peut durer des années, parfois il s’agit d’attendre que les mêmes parents puissent avoir à nouveau un enfant. Ceci peut expliquer dans certains cas la jalousie maladive de petits frères ou sœurs qui sans le savoir gardent une profonde rancœur de ne pas avoir été les premiers à s’incarner alors qu’ils pensaient le mériter.

Une fois la famille ou au moins la mère fixée, l’individu en attente d’incarnation va l’accompagner et attendre sa conception à laquelle il participe. Il suit également le futur père. La tentation est grande alors de chercher à influencer ses futurs parents de les pousser à passer à l’action. En effet la fécondation se fait par la mise en commun de trois atomes-germes que le courant d’amour va relier par une cordelette éthérique appelée corde d’argent. Ce lien entre ces trois centres va permettre la mise en route de la pulsation de vie. Sauf opposition à sa présence dans la matrice, un nouveau cycle démarre. Un corps physique entre en construction avec son double éthérique. Le mental est maintenu dans un coma léger pour ne pas interférer sur les processus de construction. Un embryon d’ego se constitue permettant à l’être d’animer ce corps de manière différentiée.

Toutes les conditions sont remplies pour que la manifestation de l’esprit soit possible. L’ego ne va se mettre en action que vers la fin de la grossesse pour sortir complètement du coma à la naissance effective. Les mémoires anciennes ont été reléguées dans le corps causal et ne sont pas accessible à l’ego dont la conscience de vie démarre avec le corps physique qu’il habite et anime.

A la différence du livre des morts égyptiens, le livre des morts tibétains ne se contente pas de décrire et proposer de gérer le voyage post-mortem. Il propose des techniques à mettre en œuvre pendant la période d’incarnation pour tirer le meilleur parti de celle-ci pour réussir le transfert d’après la mort. Le Bardo Thödol s’intéresse à l’objectif suprême de sortir du cycle des incarnations humaines, il propose d’étudier les phénomènes liés aux états de conscience de veille, de rêve et à ceux de la méditation.



27/07/2015
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