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Parlons un peu du Tibet

Ce roman se déroule dans la zone frontière dans la proximité immédiate de ce qu’était le Tibet avant l’invasion par les chinois et la fuite du Dalaï-Lama en 1959. Plusieurs années le jeune chef d’état a cherché à composer avec les envahisseurs. Les chinois se sont joués de cet adolescent en lui racontant ce qu’il voulait entendre tout en détruisant systématiquement tous les temples, en tuant ou déportant dans des lao gai les moines et tout tibétain récalcitrant. La violence de la répression et la brutalité des forces d’occupation ont conduit de nombreux tibétains à s’exiler en Inde ou plus loin.

Une nouvelle administration a été mise en place exclusivement composée de Hans de souche. La « région autonome » du Tibet est passée à l’heure de Pékin (décalage de 5 heures), l’invasion a été programmée dès le départ avec le transfert de plus de 600 000 Hans sur les hauts plateaux. La "modernisation" a commencé : routes, aérodromes, voies ferrées pour acheminer vers l’Est les précieuses matières premières tirées des mines nouvellement ouvertes dont l’exploitation ne respecte bien entendu pas l’environnement, polluant gravement les cours d’eau du pays. Un travail hydraulique considérable a été lancé, pour détourner de nombreux cours d’eau s’écoulant vers l’Inde pour les renvoyer côté chinois où on commence à manquer d’eau pour une industrie en forte croissance.

Le Tibet d’aujourd’hui est une zone arrière de la Chine et ce qui a été fait en soixante ans d’occupation et de spoliation est irréversible. On a par force abandonné les modes de construction ancestraux pour construire comme à Pékin, les villes sont polluées dans tous les domaines possibles. Les campagnes sont exploitées dans le plus profond mépris des réalités géographiques avec des rendements médiocres malgré le recours intensif à l’agrochimie. Enfin aujourd’hui, il y a plus de Hans d’origine que de tibétains de souche dans la région. Même si un élan démocratique conduisait à un référendum sur une plus grande autonomie de la région comme l’a longtemps demandé le Dalaï-Lama, le résultat serait largement en faveur de la position de la chine. Les tibétains en exil étant déchus de leur nationalité de fait selon les autorités chinoises, ils ne participeraient pas au vote.

La revendication pour un Tibet libre est un rêve, une utopie. Depuis soixante ans, avec la complicité de l’ensemble des grandes nations le Tibet a été rayé de la carte. Les tibétains n’ont pas eu la chance de compter dans l’équilibre économique de l’Europe ou des Etats Unis alors on a abandonné sans faire le moindre geste, sans faire le moindre reproche un peuple et une culture. Tous savaient, aucun n’est intervenu. Quel intérêt ? Pas de pétrole, pas d’investissements occidentaux à défendre. Un peuple souffre, l’occident s’en fout, il a fait fortune sur la souffrance des peuples et en les exterminant s’ils s’opposaient à sa "légitimité". En Amérique du Sud, en Afrique, même en Orient, alors si les chinois s’inventent des droits à coloniser, ce ne sont pas à l’époque des colonisateurs empêtrés comme nous dans une guerre au Vietnam ou dans les « évènements » d’Algérie qui pouvions donner des leçons. Oublions donc le rêve romantique d’un Tibet libre revenant à ce qu’il était avant l’invasion.   

Le récit présente les bases du bouddhisme tibétain tel qu’il est encore pratiqué sur les hauts plateaux ou les contreforts himalayens du nord de l’Inde, au Népal, au Bhoutan. Il ne s’agit pas d’une religion unifiée avec une doctrine  claire et canonique. Le Dalaï-Lama n’a rien à voir avec ce qu’est un pape pour les chrétiens. Il est une figure importante pour tous les tibétains qui le vénèrent dans son statut de bouddha vivant, pour autant ils sont relativement peu nombreux à appartenir à son école la secte des gelugpas. Il était le chef d’état du Tibet, avec une fonction complémentaire spirituelle mais pas exclusive.

L’organisation du Tibet d’avant l’invasion n’a rien à voir avec ce que nous avons l’habitude de concevoir avec notre vision colbertiste qui repose sur un état centralisé fort qui tient le territoire. Chaque village, parfois chaque hameau avait son roitelet le « gyalpo » qui assurait administration, police et justice de première instance. Les habitants de son territoire avaient un statut proche de celui des serfs du moyen âge en France. La société était de type féodal, mais avec un roi militairement faible laissant aux vassaux le soin de gérer leur territoire et n’intervenant que pour des arbitrages entre gyalpos ou entre les gyalpos et leurs sujets. De même la notion de frontière n’était pas très nette, que ce soit entre les secteurs administratifs ou même avec les pays limitrophes. Par exemple l’ermitage dans lequel a séjourné Milarepa est situé dans l’actuel Népal, à une trentaine de kilomètres de la frontière.

De nombreuses populations n’étaient pas sédentaires, elles vivaient sur les hauts plateaux, suivant plutôt que guidant le mouvement de leurs troupeaux de yaks. Les chemins étaient peu sûrs. Les bandes de brigands à l’affût des voyageurs étaient nombreuses. Le niveau de vie était peu élevé et les conditions de vie difficiles. La société était plutôt de type patriarcal, cependant, de manière générale, ce sont les femmes qui choisissaient leurs hommes. La religion officielle était depuis des siècles le bouddhisme, mais des indouistes et des musulmans étaient présents. Le bouddhisme tibétain n’est pas un ensemble homogène, il s’agit d’une mosaïque avec de nombreuses variantes, il est divisé en de nombreuses sectes. L’ancien rite subsiste, il s’agit d’une religion incluant de nombreuses pratiques chamaniques et magiques ayant grandement inspiré les bouddhismes tibétains.

De très grandes communautés religieuses se sont développées au fil des siècles. Les monastères de Sera et Drepung étaient forts de plusieurs milliers de moines. Il s’agissait d’une société parallèle avec sa propre police (les dob-dob), son administration, ses champs, ses bêtes toutes les fonctions de la société étaient représentées dans ces monastères. Les enfants en surnombre qu’on savait ne pas pouvoir nourrir étaient donnés aux temples qui les accueillaient pour en faire leur main d’œuvre et disposer ainsi d’un vivier de vocations possibles. Parmi cette foule de moines, quelques-uns avaient des convictions religieuses et se lançaient dans les études pour devenir lamas.

La capitale Lassa était un lieu saint pour tous les courants religieux et le Potala, palais d’hiver du Dalaï-Lama en était le joyau. Le lac Khokounor, le mont Kaïlach étaient aussi des lieux saints vers lesquels les pèlerins se rendaient pour obtenir des grâces, alléger leur karma. Les pèlerins mesuraient le chemin avec leur corps. La prière complète commence debout, mains jointes posées au sommet de la tête, ensuite devant le visage, puis devant le cœur. Ensuite, le pèlerin s’agenouille et s’allonge de tout son corps, front posé sur le sol, main en avant. Après cette prosternation, il se relève au niveau où étaient ses mains et recommence, avançant de la longueur de son corps à chaque prière. Les dévots pratiquent toujours cette prière autour des lieux saints, chortens ou parcours vénérés.

Les chortens sont la version tibétaine des stupas indiens. Ils ont la même fonction religieuse de signaler un lieu particulier honoré par le passage d’un saint ou par un épisode important de l’épopée d’un saint. Le plus souvent, ils contiennent des reliques, os, cendres ou objets provenant d’un saint.

La musique rituellique tibétaine est très particulière, elle n’existe sous cette forme que dans cette variante du bouddhisme. Son esthétique n’est pas forcément accessible aux oreilles occidentales qui y trouvent souvent l’expression d’une grande cacophonie. Elle est issue des rites de l’ancienne religion Bön qui existait avant le bouddhisme au Tibet. Les instruments sont uniques aussi, grandes trompes, hautbois, mais aussi et surtout tambourins avec membrane en peau humaine, pipeaux et flûtes en os humains, généralement prélevés avec leur autorisation préalable sur la dépouille de lamas ou de Toulkous. Il ne s’agit pas là d’un goût morbide mais de mettre en lumière l’impermanence de la condition humaine. Les alchimistes de la renaissance se rendaient dans les cimetières pour y observer la décomposition des corps avec des motivations similaires.

Terminons ce petit chapitre de présentation par les Toulkous. Un Toulkou est un être d’une grande spiritualité qui garde sa charge d’une incarnation sur la suivante. Il reste en titre par exemple de la charge d’un monastère. Avant qu’il ne meure, il nomme un régent qui va s’occuper des affaires courantes jusqu'à son retour. Il donne des explications sur le lieu et la date de sa prochaine incarnation. On attend en général quatre ou cinq ans pour se mettre en recherche de sa nouvelle incarnation. Souvent, l’enfant a déjà révélé à ses parents qu’il ne va pas rester avec eux et qu’il va retourner bientôt chez lui. Une mission de moines va chercher les enfants répondant aux critères et on leur fait passer un examen qui permet de définir lequel est le Toulkou. Il est ensuite réintégré dans ses fonctions. Ses parents ou sa mère peuvent être hébergés avec lui jusqu’à ce qu’il l’âge de raison, soit sept ans, à moins qu’il ne les congédie plus tôt. 



06/11/2015
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