Regard sur notre société et la place de la douleur
L’être humain est à la fois un abîme de complexité et d’une grande simplicité. Il est paradoxal par essence. Il a la possibilité d’être un lien conscient entre matière et esprit. Cette posture unique dans les êtres incarnés sur terre lui a donné l’illusion d’être au sommet de la pyramide de l’évolution. Il ne s’agit bien entendu que d’une projection de l’ego qui y trouve la légitimité à tout asservir puisqu’il se pense le maître de la matière.
Notre société occidentale est organisée sur ce postulat d’êtres supérieurs qui commandent aux éléments et aux autres êtres. L’organisation sociale a pour objectif de maintenir une bande d’oligarques élus dans les démocraties ou auto-proclamés ailleurs. Il suffit de peu de lucidité pour voir que si ces systèmes favorisent plus ou moins le progrès technique et un certain confort de vie, ils sont assez inefficaces pour aider les individus qui les constituent à grandir spirituellement.
On reconnaît unanimement le droit à la quête du bonheur et chaque système se veut le meilleur pour garantir cet accès au bonheur des populations qui lui sont asservies. Un des outils de maintien de ces systèmes est la peur du néant ou du pire que serait un changement des paradigmes qu’ils entretiennent. Une partie de leur légitimité s’appuie sur la présence d’ennemis qui les menacent et dont il faut se protéger. La guerre peut être militaire, idéologique ou économique, de fait nos sociétés sont en lutte permanente. Ces systèmes sociaux sont les modèles dans lesquels nous avons grandi et nous suivons leurs évolutions. Le fait de les connaître et d’en faire partie est rassurant. Notre société nous fait la promesse permanente de s’occuper de créer les conditions pour nous rendre heureux et nous garantir les moyens d’être en bonne santé. Elle promet de nous soigner si nous sommes malades, de nous assister si nous sommes dans le besoin. Et nous avons peur de perdre tous ces avantages.
La société nous apporte en effet de nombreuses garanties, sécurité, durabilité de notre situation, protection de notre patrimoine… en contrepartie nous acceptons de très nombreuses restrictions, mais nous y sommes tellement accoutumés que nous n’en avons même plus conscience. En fait la société filtre tout et tout le monde, l’école sert à reconnaître ceux qui vont bien fonctionner et à les amener là où elle a besoin d’eux. Le corps social nous juge en permanence et gratifie de bons ou mauvais points ses bons sujets, poussant à l’écart ceux qui sont inadaptés. Ces derniers sont mis au ban et ne méritent que la charité, geste suprême de supériorité, expression sublimée du dédain.
La douleur est une gêne au fonctionnement de la société, celui qui a mal n’est pas productif et en plus il perturbe les autres. A ce titre, la douleur (physique ou psychique) doit être combattue. La cause n’est pas le sujet, il suffit de supprimer les symptômes. Elevés dans ce contexte, nous vivons la maladie comme un ennemi à abattre et organisons la chasse aux symptômes. Mais la suppression des symptômes ne traite en rien la cause qui a conduit à leur expression. Soigner un organe qui dysfonctionne est une bonne démarche, mais pour quelle raison en est-il arrivé là ?
L’erreur fondamentale d’appréciation provient de notre histoire. Il était nécessaire pour notre évolution de séparer le corps de l’esprit, ce qui a été fait avec le renforcement de l’ego qui s’est placé dans le mental pour la plupart d’entre nous. Pour permettre cette évolution, l’esprit s’est déplacé dans le corps physique, en un lieu où il se tient à l’écart du tumulte de l’ego. A l’heure actuelle, nous sommes dans la confusion en prenant l’ego, le mental pour l’esprit. Nous sommes dans le culte du corps, de la jeunesse, mais paradoxalement, nous avons coupé le dialogue avec nos propres cellules, avec le peuple qui nous constitue. L’esprit reste en relation permanente et garantit la cohérence entre nos cellule, tisse et maintient les liens de fraternité et de cohésion sans lesquels nos cellules prendraient leur indépendance et notre corps se disloquerait. Il veille et va permettre au corps de s’exprimer pour attirer notre attention.
Le lieu de la douleur est celui qui appelle notre présence, notre amour. C’est en l’écoutant, en accueillant avec bienveillance son expression que nous avançons vers la guérison si elle fait sens. Supprimer le symptôme revient à fortifier la cause qui a conduit à la douleur en privant le corps de sa réaction naturelle. N’étant plus alertée, notre conscience ne se met pas à l’écoute et ne corrige pas la cause, préparant le terrain de la prochaine pathologie plus grave et douloureuse. Nous utilisons notre corps mais nous sommes déconnectés de la majorité des mécanismes qu’il utilise et met en œuvre. Pour fonctionner, il se passe de notre mental avec lequel nous nous confondons. Le corps physique est le lieu de notre présence pendant l’incarnation. Il y a deux parties en nous qui ne communiquent pratiquement pas entre elles, celle qui fait fonctionner le corps et celle qui l’utilise sans écouter ses demandes. Il ne faut pas ici confondre les demandes fondamentales du corps et les envies du mental.
Notre travail est d’entrer en contact avec cette part qui anime notre corps, de renouer le dialogue avec elle. C’est en elle que sont tous les secrets, tous les savoirs de l’univers dont nous avons besoin. Notre corps n’a besoin d’aucun enseignement pour digérer, pour assurer la circulation sanguine… il sait par essence, il sait parce qu’il est animé par la pulsion de vie et en lien avec elle.
Quand les grands mystiques font leur retraite pour atteindre les sommets, ils se retrouvent seuls avec leur corps. Ils n’ont rien emmené d’autre avec eux parce que tout est là. La rencontre avec la pulsion de vie en soi est la seule voix pour avancer spirituellement. Le reste n’est que de l’occupationnel pour notre mental ou pour notre cœur. Notons qu’actuellement l’ego est en train de migrer du mental vers le cœur chez de nombreux pratiquants, générant un foisonnement de nouvelles thérapies en liaison avec ce besoin nouveau de nourrir son cœur (sans pour autant lâcher le mental). Mais il s’agit de cœur-ego et non du cœur spirituel qui est nourri le plus souvent. Le mécanisme est pernicieux car il s’habille des plus belles intentions qui soient : soulager les autres de leurs douleurs. Souvent il s’agit de magie, mais le temps de la magie est révolu.
La lutte acharnée contre les symptômes dans notre société est le premier moyen de nous déposséder du lien avec notre être profond, d’entraver son expression. Comprenons nous bien, je ne condamne pas l’action du thérapeute qui soulage d’une douleur, mais il faut accompagner le malade à retrouver le lien, le dialogue avec son corps. Qu’il comprenne avec lui les actions correctives à mener. Bien entendu, il faut être guidé au début, mais il n’appartient qu’au malade de se guérir, sinon on le prive de son expérience, on lui fait perdre du temps et on lui prépare une maladie plus grave (maladie physique ou psychique).
Le premier stade de la méditation est de trouver la paix du mental et du cœur, d’épuiser dans la douceur et la neutralité le flux d’information qu’ils ont à délivrer. Quand le silence se fait, quand la neutralité bienveillante est là, alors le corps s’exprime. Comme on n’est pas habitué à l’écouter, on n’entend rien au début, on ne ressent qu’une douleur ici, une gêne là, un gargouillis ailleurs. Patience, bienveillance et encore patience, puis les ouvertures se produisent et la rencontre devient possible, une petite musique est là. Le travail spirituel ne consiste pas à s’évaporer aux confins de l’univers, ni d’expliquer tous les textes sacrés, mais d’être en conscience apaisée au plus profond de notre corps physique pour y rencontrer la pulsion de vie puis l’écouter nous enseigner et nous guider.
C’est là qu’est notre maître intérieur, il est omniscient. Il n’appartient qu’à nous de faire l’effort de garder le contact avec lui. Il est dans toutes nos cellules, celles des pieds qui nous conduisent partout à qui nous montrons au quotidien peu de reconnaissance, à notre estomac et à nos boyaux qui digèrent comme ils peuvent tout ce que nous ingurgitons souvent sans la moindre attention pour eux et pour le travail formidable qu’ils vont accomplir pour en extraire le moyen de nous maintenir en vie, etc… Sans l’amour inconditionnel de nos cellules, sans le travail permanent de cohésion mené par le courant de vie, nous serions morts. Pour l’instant tout ceci échappe à notre conscience. Elever sa conscience, atteindre l’éveil c’est entrer dans le processus de vie en nous, vibrer à son rythme. L’illumination complète est de vivre en harmonie, à l’écoute et d’avancer en joyeuse complicité avec toutes nos cellules, de partager nos buts avec elles, de les associer à l’œuvre, elles n’attendent que ça.
Je vous souhaite cette rencontre avec vos cellules, c’est à dire le meilleur
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